Certaines publicités nous amènent à penser que les enjeux liés au développement durable font rire leurs créateurs. Mais qu’est-ce que le « greenwashing » ? Où est la frontière ? Y-a-t’il des douaniers ? Comment l’éviter ?
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Reprenons depuis le début….
« Greenwashing » avez-vous dit ? Mais que signifie véritablement ce mot ? Et bien c’est le vrai problème : il est très difficile de le définir, de le mesurer et donc de le sanctionner. Ce constat vous laisse deux choix : soit vous l’ignorez ou le dénigrez, soit vous le prenez au sérieux et l’anticipez. Nous verrons en quoi il est préférable d’opter pour la deuxième solution mais essayons tout d’abord de vous donner des éléments afin que vous puissiez vous appropriez ce terme et les enjeux qui en découlent.
Le blanchiment d’argent est une notion comprise de tous : je suis en possession de fonds qu’il est préférable que je dissimule d’une manière ou d’une autre pour pouvoir en profiter pleinement. Le « Greenwashing » ou « eco-blanchiment » est la retranscription de ce principe dans le milieu de la communication et du marketing : j’attribue à mon entreprise, mon service ou mon produit des arguments liés au développement durable pour pouvoir mieux le ou la promouvoir sans m’assurer de la véracité, de l’objectivité et de la loyauté[1] de ces derniers.
Enfin, il est important de signaler qu’à son origine ce terme a été utilisé pour les thématiques environnementales. Aujourd’hui il s’est élargi aux principes du développement durable qui repose sur trois piliers : l’environnement, le sociétal et l’économique.
Mais où est la frontière ?
Vous allez bientôt pouvoir rouler dans des voitures « Zéro Emission* » !
Voilà ce que certaines marques vous promettent avec l’arrivée des voitures électriques. L’astérisque nous renvoie à une information intéressante : zéro émission de CO2 à l’utilisation, hors pièces d’usure. Car effectivement, si l’on prend l’ensemble du cycle de vie de la voiture, nous sommes loin des zéros émissions comme pour tous les produits manufacturés qui nous entourent d’ailleurs. Le but ici n’est pas de mettre les constructeurs automobiles au pilori mais d’illustrer la complexité du sujet.
En effet, la voiture électrique ne dégage pas de CO2 à l’utilisation, hors pièces d’usure. Alors pourquoi blâmer ce type de message ? Les marques font des efforts pour répondre aux volontés politiques et que nos modes de transport n’évacuent plus de CO2 sur notre territoire, pourquoi devraient-elles cacher une véritable caractéristique produit ? Arrêtons « l’éco-dictature » et favorisons le progrès !
Soit. Mais reprenons quelques points des recommandations Développement Durable de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité – ex BVP) :
- 2/3 b/ Le message publicitaire ne saurait suggérer indûment une absence totale d’impacts négatif.
- 6/1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable.
=> le terme de « zéro émission » ne le fait-il pas ?
- 3/2 Si l’argument publicitaire n’est valable que dans un contexte particulier, ce dernier doit être présenté clairement.
=> le contexte particulier étant que le « Zéro émission » n’est valable que lors de l’utilisation, hors pièces d’usure, l’astérisque peut-elle être considérée comme une présentation claire ?
Nous voyons donc que le message ne peut pas être considéré comme mensonger mais ne représente-t-il pas un raccourci qui mériterait d’être mieux expliqué au consommateur ?
Qui sont les douaniers ?
La frontière étant reconnue comme mince, l’identification du greenwashing se complique d’autant plus quand on cherche les entités légitimes à décider si la frontière a été franchie ou non. En effet, si les ONG sont souvent les plus véhémentes sur ce sujet on peut s’interroger sur leur crédibilité et leur ouverture d’esprit quant au secteur de la publicité dans son ensemble. Comme nous le voyons tout au long de cet article seul l’ARPP et son jury de déontologie peuvent être identifiés comme les garants d’une publicité responsable, mais a-t-elle réellement les moyens humains et politiques de faire appliquer ses recommandations ? Et pouvons-nous estimer que ces recommandations soient assez claires pour ne pas laisser place à l’interprétation ?
Quels sont les risques ?
Les risques judiciaires sont aujourd’hui faibles car il n’y a pas d’articles sur cette thématique du greenwashing, le législateur ayant laissé le secteur de la publicité se réguler en demandant à L’ARPP d’être le garant de la déontologie face aux enjeux du développement durable. Le seul article de loi [2] en lien avec l’environnement et la publicité régule la mise en scène de véhicules terrestres dans les espaces naturels. L’ARPP peut donc faire interdire une campagne ou la faire annuler et attribuer des sanctions à la marque mais on comprend aisément qu’il leur est difficile de tout contrôler. D’autant plus que l’ARPP se pose de la manière suivante dans le débat :
« Nous nous basons sur la responsabilité des annonceurs. Nous ne sommes pas juges des produits : notre compétence se limite à l’expression publicitaire » Joseph Besnaïnou – Directeur général de l’ARPP[3]. On lit aisément que le degré d’exigence n’est pas excessivement élevé !
Néanmoins, ce risque judiciaire ne doit pas être sous-estimé car il peut vite rentrer en scène, mieux vaut donc l’anticiper. En Norvège par exemple, les constructeurs automobiles n’ont plus le droit d’utiliser les adjectifs « propres », « vertes » ou « respectueuses de l’environnement » pour leurs voitures depuis 2007[4]. De plus, si la notion de déontologie est dépassée une marque peut se faire attaquer pour publicité mensongère, qui elle est passible de véritables sanctions judiciaires.
Mais le risque actuel le plus fort est celui de l’image de marque :
- On sait combien le lien de confiance et d’affect est important entre une marque et son consommateur.
- L’information circule aujourd’hui très rapidement et beaucoup de données sont vérifiables instantanément pour celui qui recherche.
- Il lui est tout aussi facile de diffuser largement un message alertant sur le caractère frauduleux de l’information.
- Le consommateur est de plus en plus concerné par les problématiques environnementales et sociétales ce qui fait qu’il ne supportera pas de recevoir de faux messages de la part d’une entreprise sur un sujet si sensible.
Le résultat peut donc s’avérer catastrophique pour l’entreprise. Il est vrai que les prises de conscience des consommateurs entraînant un véritable préjudice pour une entreprise sont encore faibles mais nous ne pouvons pas nier qu’elles vont aller en augmentant. Cela va entraîner de leur part une volonté d’information et de transparence. Il va paraître de plus en plus difficile par exemple d’avancer un argument scientifique sans donner la possibilité aux différentes parties prenantes de pouvoir consulter la dite étude et sa méthodologie.
Comment éviter le greenwashing ?
La première chose à faire est de vous reporter à la « Recommandation développement durable » éditée par l’ARPP. 9 thèmes y sont détaillés et vous permettront de jauger le degré de responsabilité de votre communication. Vous pouvez aussi prendre connaissance du document « Clés pour une communication responsable » édité par l’Union Des Annonceurs (UDA) en partenariat avec l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’énergie (ADEME). Intégrez aussi la hiérarchie des actions : s’engager, faire et faire savoir. La communication doit donc venir après l’action, mais n’oubliez pas qu’elle doit s’appuyer sur des arguments vrais, objectifs et loyaux.
Nous voyons que tout repose sur de la déontologie ce qui implique la difficulté à juger mais aussi à anticiper. Une faute peut être commise volontairement, par omission ou par un manque de connaissance. Les thématiques du développement durable sont complexes, une vérité pour un secteur peut être une absurdité pour un autre.
Si vous avez pris conscience de l’importance stratégique d’aborder le développement durable de manière responsable dans votre communication, la première étape est de vous sensibiliser et d’intégrer les enjeux liés à votre cœur de métier. Le développement de votre sensibilité et de vos connaissances vous permettra de mieux maîtriser les champs lexicaux employés et la mise en image de vos arguments stratégiques. Cette sensibilisation doit aussi être enseignée à l’ensemble de vos collaborateurs.
Au-delà de la communication, cette prise de conscience vous permettra d’intégrer véritablement les enjeux du développement durable dans l’ADN de votre entreprise, des enjeux qui représentent bien plus que la « simple » préservation de la planète. En effet, cette démarche vous permettra de vous armer face à l’augmentation du coût énergétique ainsi que des matières premières mais aussi de mieux vous protéger des tensions sociétales car l’Humain reste au centre de ces enjeux (sous la crise, les révolutions).
Le développement durable ne fera bientôt plus rire aucun publicitaire. Certains ont déjà compris qu’il leur permet de redonner du sens à leur métier en conservant l’esprit créatif nécessaire à la mise en valeur.
Ce sujet est trop riche et passionnant pour être traité de manière ennuyeuse et il est encore plus important pour que la culpabilisation laisse enfin place à l’appropriation.
[1] Ces trois termes sont les piliers des recommandations « développement durable » du Bureau de la Vérification de la Publicité (BVP) édictées en 2003. Cette instance a été remplacée par l’Autorité de la Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) qui a décliné ces trois termes en 9 règles de déontologie dans son document de Juin 2009 intitulées du même nom : « Recommandations développement durable ».
[2] Article 12 et 13 de la Loi n°91-2 du 3 janvier 1991 codifiés à l’article L362-4 du code de l’environnement.
[3] Citation extraite de l’article « Betteraves et carbone : toujours la même salade » paru dans le Terra Eco numéro 12-Mars 2010.
[4] www.novethic.fr - Les métiers de la communication se font bousculer – Hélène Huteau – 23/10/2007
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